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Emma l’Improbable
Emma la Tueuse de Rois
Emma de la Triade
Sa page à elle dans le Grand Livre des Guerrières !
Regina, Nïx et Annika l’avaient emmenée – avec Lachlain, car elle s’était montrée inflexible – dans la salle de la guerre, où elles l’avaient entraînée jusqu’à l’antique piédestal ornementé au-dessus duquel brillait la lumière. Puis elles avaient tiré le gros volume de son coffret en plexiglas, avant de l’ouvrir à sa page.
Son portrait y avait été peint au-dessus de ses nouveaux noms, écrits dans la langue d’autrefois, et de la mention Guerrière aimée de Wotan. Guerrière. C’était presque trop beau pour être vrai. Emma effleura de ses doigts tremblants les reliefs dessinés par les lettres sur le parchemin très doux.
Elle tua Demestriu, roi de la Horde, le vampire le plus âgé et le plus puissant du monde, quelle décida d’affronter seule.
Reine de Lachlain, roi des Lycae. Fille bien-aimée d’Hélène et de toutes les Valkyries.
— Regardez-moi ça ! (Emma fondit en larmes.) J’en jette drôlement sur le parchemin !
— Mais pas tes pleurnicheries, protesta Regina. C’est d’égueulasse !
— Et vous avez laissé de la place pour plus tard !
La guerrière du jour renifla. Nïx lui tendit les mouchoirs en papier qu’elle avait eu la présence d’esprit d’apporter pour lui éviter de tacher le livre.
— Bien sûr. Même si tu passes l’éternité à flemmarder en compagnie de ton grand méchant loup, il fallait bien qu’on pense à tes héroïques enfants infernaux.
Emma rougit, tandis que Lachlain la serrait contre lui d’un bras protecteur.
— Nous avons décidé d’un commun accord de ne pas avoir d’enfants, annonça-t-il, la tête haute.
Nïx fronça les sourcils.
— Ma foi, mes visions à ce sujet sont plutôt fiables, en général, mais si vraiment vous ne voulez pas devenir parents, ne la laisse surtout pas se nourrir à la manière humaine… et encore moins pendant des semaines d’affilée, ou elle se retrouvera enceinte plus vite qu’une lapine après une cérémonie de la fertilité druidique !
— Mais je ne peux pas… balbutia Emma. Je suis une vampire… Nous ne pouvons pas avoir d’enfants.
— Bien sûr que si. Il suffit que tu te nourrisses différemment.
Comme Lachlain ne semblait pas convaincu, Annika prit le relais :
— Réfléchissez… Que font les humains, qui les différencie de la plupart des créatures du Mythos ? Ils mangent les fruits de la terre, et ils se reproduisent. Les deux sont liés.
Le cœur battant, Emma se rappela ce que Demestriu lui avait raconté : Hélène avait partagé ses repas avant de tomber enceinte.
— Alors, un Lycae avec une… une Valkyrie… ?
— Tu veux savoir si tu auras de petits monstres qui courront partout en mordant les chevilles des gens ? (Nïx pouffa.) Bien sûr… au sens le plus littéral. Tu n’es pas le premier produit d’un croisement interracial dans le Mythos, tu sais. Des vampires capables de se promener au soleil, des Lycae se nourrissant de foudre, des Valkyries heureuses de courir dans la forêt, la nuit. (Sa voix s’était emplie d’émerveillement.) Et ils ont une sacrée force. Regarde-toi.
Emma se tourna vers sa mère adoptive.
— Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ?
Annika secoua la tête en levant les mains – un geste de défense.
— Il ne m’est jamais venu à l’esprit que tu pensais à ce genre de choses, et encore moins que tu te faisais des idées aussi bizarres.
— Quand le désir d’enfant la prendra au cœur, tout ira bien, assura Nïx à Lachlain. Il faudra juste qu’elle mange normalement pendant neuf mois, minimum.
Emma fit la grimace en se passant la langue sur les lèvres. L’idée de mastiquer lui répugnait.
— Bon. En attendant… (Nïx s’interrompit, le temps de leur adresser un sourire lascif.)… passons à la lune de miel ! (Comme les deux impétrants restaient sidérés, elle agita la main, agacée.) On aurait dû régler ce genre de choses pendant les trois heures de conseil prématrimonial obligatoires…
Ce week-end-là, Emma et Lachlain furent unis au cours d’une brève cérémonie toute simple, suivie d’une fête aussi bizarre que tapageuse. Les Valkyries se réunirent ensuite dans la salle télé, vautrées de-ci de-là, les yeux rivés à l’écran.
Les jeunes mariés les accompagnaient, mais, malgré le film, Lachlain ne tenait pas en place. Quant à Emma, elle décrivait du bout du doigt dans sa paume des cercles paresseux.
Il n’avait convié aux festivités que Bowen et Garreth, alors que le clan tout entier mourait d’envie de faire la connaissance de la petite reine qui avait tué Demestriu. Dans ces cas-là, les Lycae aimaient se saouler, se vanter, se lancer des piques, et il imaginait parfaitement la réaction – violente – des Valkyries, ces folles qui ne buvaient pas une goutte.
Lucia n’avait pas tardé à « aller faire un tour », d’après ses sœurs, ou à « s’enfuir », comme le disait plus exactement Garreth, qui s’était empressé de la suivre. Bowen, après avoir distraitement félicité Lachlain, avait passé une heure à discuter dans un coin avec Nïx. La conversation terminée, il s’était montré mystérieux, préoccupé, et n’avait pas tardé à repartir.
Wroth avait eu l’audace de venir, en compagnie d’une Myst rieuse. Il promenait autour de lui des regards qui mettaient quiconque au défi de l’envoyer promener, mais les Valkyries lui témoignaient la même indifférence qu’à Lachlain : à voir leur désinvolture, on aurait dit qu’il avait toujours appartenu à la maisonnée. Annika seule faisait exception. Quand elle avait repéré le vampire, son menton s’était abaissé de quelques degrés.
— Furie va me tuer… l’avait entendue marmonner Lachlain.
Il n’arrêtait pas de se tortiller sur son siège. À son avis, il avait recouvré assez de force pour partir le lendemain. Il était physiquement prêt à reprendre les relations sexuelles avec son épouse, mais il n’avait aucune envie de le faire sous ce toit.
Il se leva, la main tendue, et Emma y glissa la sienne, un sourire timide aux lèvres. En passant devant l’écran, ils esquivèrent de justesse une volée de pop-corn.
Lachlain ignorait où il emmenait sa bien-aimée. Dehors, peut-être, dans la nuit brumeuse. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il la désirait, qu’il avait besoin d’elle, maintenant, tout de suite. Elle était tellement merveilleuse. Lorsqu’il était en elle, lorsqu’il la serrait étroitement contre lui, il avait moins l’impression qu’elle allait lui échapper.
Mais à peine étaient-ils arrivés dans un couloir désert qu’il l’adossa au mur en se collant à elle, la main derrière sa nuque, pour lui demander une fois de plus :
— Tu restes avec moi, alors ?
— À jamais. (Elle se cambra, les hanches levées vers les siennes.) Tu m’aimes ?
— À jamais. (Ils parlaient lèvres contre lèvres.) Si fort que ça me rend dingue.
Elle gémit doucement. Lachlain la souleva de terre pour qu’elle lui noue les jambes à la taille. Ils ne pouvaient pas faire l’amour là, évidemment, mais le souffle d’Emma à son oreille lui faisait un peu oublier pourquoi.
— Si seulement on était à la maison, murmura-t-elle. Au lit.
À la maison. Elle avait bien dit « à la maison ». Et « au lit ». Jamais il n’avait rien entendu de plus agréable. Il la plaqua contre le mur en l’embrassant passionnément, avec tout l’amour qu’elle lui inspirait, mais soudain il se sentit tomber, perdre l’équilibre. Son premier réflexe fut de la serrer dans ses bras en se contorsionnant pour encaisser le choc de dos.
Il rouvrit les paupières au moment où ils s’effondraient sur leur lit.
Les yeux écarquillés, bouche bée, Lachlain lâcha Emma et s’accouda à côté d’elle.
— Ça, ma chérie, ça décoiffe… Tu ne veux pas me prévenir, la prochaine fois ?
Elle hocha la tête, solennelle, s’assit à califourchon sur lui, puis se débarrassa de son corsage en le faisant passer par-dessus sa tête pour dévoiler son exquise poitrine.
— Mon amour… lui chuchota-t-elle à l’oreille, effleurant son torse de ses seins. (Frissonnant, il l’empoigna par les hanches.) Je vais te montrer… ce que c’est… quand ça décoiffe vraiment.
Mais il la fit rouler sur le dos et lui arracha ses vêtements, avant de se débarrasser des siens de manière tout aussi expéditive. Lorsqu’il plongea en elle, sa bien-aimée cria son nom en se cambrant merveilleusement contre lui.
— Cette démonstration-là, mon amour, je te la réclamerai demain. D’abord, je vais te prouver que moi aussi, je suis doué pour décoiffer !
Fin du tome 1